MORALIA
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reflections on lives - damaged or not.
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RURAL RWANDA – Interviews 2007-2011 (redacted & edited)Je suis née en 1963 dans l’ancienne Commune […], secteur […], qui plus tard est devenu le District […] et le Secteur […]. Je me suis mariée avant la guerre en 1987 à […], d’ici-là, il y a 30 minutes. Mon mari est décédé en 1994. Je n’avais qu’un choix pour sauver ma vie et trouver le refuge. Les génocidaires m’ont dit « prends et mets ton enfant devant toi et gagnes ton village puisque tu n’es pas du groupe que nous devons tuer !». Ils venaient de tuer mon mari. Depuis 1994, je vis ici avec ma vieille maman qui a 95 ans. J’ai quatre enfants.
En 1987, au moment de mon mariage, nous étions bien. Nous avions tout, des vaches, des champs, mon mari travaillait, il était maçon et pouvait donner de l’argent pour les ouvriers agricoles. Nous récoltions toutes sortes de cultures, nous ne manquions de rien, nous vivions en paix et nous avions un peu de tout pour nous satisfaire. En 1990, la guerre a commencé. En 1991, j’ai donné naissance à un enfant à Kigali, les médecins s’écriaient en disant que je donnais naissance à un serpent. Nous étions nombreux, nous pensions que rien ne pouvait nous arriver. Je ne savais pas de quoi il s’agissait quand on parlait des enfants serpents. La sécurité signifie la liberté dans tout ce qu’on fait. Celui qui a la sécurité est toujours content. Pour moi la sécurité veut dire la paix de l’esprit. Il faut transcender, dépasser les difficultés et ne pas verser dans le principe de la « dent pour dent et œil pour œil = IJISHO RIHORERE IRINDI ». Cela me donne la paix du cœur. Les gens devraient se repentir et se convertir parce que ce qui a eu lieu au Rwanda a été impulsé par l’orgueil. Les gens riches qui ont commis le génocide ont acheté la justice mais comme l’argent les pousse à faire d’autres crimes tels que la corruption, ils n’ont pas de sécurité. Ce sont eux qui ont finalement quitté le pays et vont en exil. Pour dire ce que c’est la sécurité, autant dire qu’elle est ce que j’appelle les bonnes relations avec ses semblables. La situation a continué comme ça, au moment des partis politiques, il y avait deux quartiers, […] était occupé par les gens du MDR, chez nous à […] il y avait le drapeau du PL, chez mon beau-frère qui s’appelait […]. Il a été tué pendant le génocide. Il y avait souvent des accrochages entre les jeunes de ces deux partis. A la mort du président du Burundi, en 1993, un certain […] du MDR (actuellement en prison) a officiellement dit qu’on allait faire comme au Burundi, là on tuait les Hutu et eux ils allaient tuer les Tutsi. En 1994, après la mort de Habyarimana, nous n’avons pas dormi. Nous avions un frère qui vivait à […], nous avons entendu des nouvelles disant qu’à Kigali on avait commencé à tuer les Tutsi. Le 10 avril 1994, nous nous sommes réfugiés à […]. C’était tout le monde, Hutu et Tutsi confondus. Moi et ma belle mère, nous sommes restées à […], les autres ont continué vers […]. Les autorités de base sont allées dire aux gens de revenir chez eux. De retour à […], on a commencé à tuer les Tutsi. Le premier de mes voisins est mort par balle, mon mari, lui, a été jeté dans la rivière. Mon beau-père et mes beaux-frères ont été tués différemment, les uns par des militaires, les autres par les voisins. On est venu à l’église de […] pour chercher les gens à tuer. C’est alors qu’on a pris plusieurs membres de ma belle famille pour aller les jeter dans la rivière. Les gens de […] qui nous avaient cachés nous fuyaient aussi. Vers 17h, j’ai entendu des cris d’un certain […], qui disait qu’ils avaient débusqué : il s’agissait de […], le cousin de mon mari. A ce moment, nous aussi, on nous a dit de sortir. Il y avait un certain […]. On nous a regroupés chez […], il y a quelqu’un qui passait, un certain […], qui m’a tirée de là, les autres qui étaient restés chez […] ont été conduits dans la rivière. J’ai continué à errer de maison en maison jusqu’à ce que le FPR prenne la région. J’étais enceinte, et je ne pouvais pas aller très loin. Je ne peux jamais avoir confiance aux Hutu, ils m’ont fait tellement de peines qui je ne peux pas leur pardonner. Le groupe des Hutu est celui qui a assassiné mon mari. Même avant le génocide, je n’avais pas confiance en eux. Le premier fiancé, et pourtant très riche, n’a pas pu me convaincre de vivre avec lui. La méfiance est plus que l’effet de la guerre. En 1959, les familles de mon père ont été brulées dans leurs maisons. Mon père a été ici étant comme un exilé. Il me disait que ce groupe était méchant. En 1994, j’ai été un témoignage direct de leurs forfaits. Après la guerre, la vie a continué avec les problèmes. ASOFERWA m’a construit une maison, mais ce n’est pas totalement achevé. Quand les enfants sont malades, je me débrouille, sauf que le FARG aide dans le payement du minerval. Le FARG aide convenablement ceux qui ont les leurs qui réclament pour eux ou ceux qui peuvent passer leur temps à s’asseoir à son bureau. Beaucoup de femmes ont eu leurs enfants traumatisés parce qu’elles ont attendu les aides et ne veulent pas travailler pour leurs enfants. En 2000, il y avait la famine dans le pays. Je me souviens qu’il y avait la famine dans ma famille et dans le village. Avec la politique du fonds des rescapés (FARG), j’ai eu l’espoir que mes deux fils allaient être assistés comme d’autres rescapés. En 2001, il m’était facile d’avoir 40 milles de revenu chaque mois. Je fabriquais la bière locale. En 2003, les autorités nous ont expliqué que mettre en prison tout le monde n’était pas une solution. Avant nous pensions le contraire. En 2005, la juridiction Gacaca me prenait trop de temps. Tantôt j’étais dans le jury, tantôt je devrais suivre les procès de la famille de mon mari victime du génocide. J’ignorais comment étaient les relations des gens ici. Il y avait ceux qui s’unissaient pour fuir le Gacaca ou pour des raisons économiques. Au Gacaca, quand nous jugions des gens, les accusés étaient récompensés parce qu’ils avaient avoué, quelle est la récompense pour des gens morts ? Est-ce qu’ils sont morts par la volonté de l’Etat ? Nous aussi nous allons accuser l’Etat. Il y a des criminels qui prenaient le fait d’avouer comme un simple jeu, qui disaient qu’ils allaient avouer et faire les TIG. Les gens qui ont tué les miens, quand je les vois, je fais semblant d’ignorer ce qu’ils ont fait. Quand on devait les juger, je me retirais pour ne pas me fâcher en étant dans le siège. Les accusés avaient acquit une expérience, ils savaient comment se prendre dans un procès, et comment avouer pour avoir une réduction de peine. Quand les gens ont confiance les uns en d’autres, ils s’entraident, se disent la vérité, se donnent des conseils. Il y a la cordialité entre eux. Ceci se manifeste dans les évènements de la vie qu’ils soient ceux de malheurs (funérailles) ou de manifestation de joie (mariage), ils se tiennent compagnie et ils manifestent leur présence matériellement ou moralement. Il est difficile d’avoir confiance aux gens de notre temps. Il y a des expressions telles que « TURI MURI SHUGURI= nous sommes dans la débrouillardise, dans l’affairisme » ou les autres disent « URUKUNDO RWARIMUTSE = l’amour n’est plus chez lui/soi ». Tout ceci, ce sont des alibis pour justifier qu’il n’y a plus de réciprocité d’amitié ni de confiance entre les gens. Comment avoir la confiance dans les gens qui n’ont plus la disponibilité de temps? La confiance signifierait l’amour profond. Mais pour moi, ce mot n’existe pas depuis le génocide. Quand il y a des cérémonies de mariages, on m’invite, je donne ma contribution mais le jour du mariage je ne sais pas ce qui m’empêche d’y aller. Je me rappelle que nous aussi, nous avions des filles et des garçons qui auraient pu célébrer leurs mariages et je n’y vais pas. Je me demande comment mon enfant va vivre et s’épanouir sans famille, mais je crois seulement en Dieu. En 2007, la situation économique se résumait en un mot : la pauvreté. Je vivais avec ma mère qui est tellement vieille qu’elle ne peut pas vivre seule. J’étais un Inyangamugayo [juge dans les juridictions gacaca], je ne savais pas si c’étaient des représailles mais on volait dans mes champs, quand je donnais de l’argent pour le travail, les gens ne voulait pas travailler pour moi. J’ai entendu dire qu’on allait donner des vaches, mais quand je suis allée voir on m’a dit que la liste était pleine, alors que j’avais commencé à planter des herbes pour le foin. Etre représenté, c’est avoir une autorité qui prête une oreille attentive. Etre représenté, c’est avoir le secours rapide quand il le faut. Aujourd’hui je n’ai aucun problème avec les autorités. Chaque fois que je compte sur elle, je trouve une réponse satisfaisante. La représentation politique signifie qu’il y a l’autorité qui veille sur la sécurité des gens. Pour moi, je n’ai aucun tuteur sauf l’Etat, je le dis souvent publiquement, celui qui est représenté se sent solide. Je ne connais pas de progrès. Il fut du temps où la récolte était bonne. C’est surtout vers les années 2008-2010 que ma situation s’est aggravée. J’avais la bananeraie qui me donnait 10000Frw cash sans compter que la banane était aussi une source formidable de ma nourriture quotidienne. En tout, il était possible d’évaluer ma récolte à plus de 20000Frw. Il y a eu les maladies de la bananeraie, je n’ai plus du fumier et le pire c’est que les voleurs prennent la nuit le peu qui devait me récompenser de l’effort que je fournis pour l’entretenir. Dans ma famille, j’ai un membre de ma famille lointaine, le cousin de mon beau-père qui ne veut pas que j’hérite de mon mari. Il s’est approprié en 2008 le champ qui était très utile. Il me permettait de récolter les maniocs, les patates et les haricots. Il m’est très cher de recourir à la justice. Chaque fois que les procédures de jugement exigent de moi les témoins. Le transport pour les amener me coûte beaucoup d’argent. Ces détracteurs font tout pour me priver même le statut de rescapé en vue de m’empêcher de bénéficier de l’aide que le fond de rescapé de génocide réserve aux victimes. Les rescapés disent que je ne suis pas des leurs. J’ai pourtant deux enfants dont leur père a été victime du génocide. Ils n’ont pas confiance en moi et moi non plus je n’ai pas confiance. Les rescapés ne m’acceptent pas dans leurs réunions. Ce qui me donne la force de vivre c’est que j’ai encore mes enfants. L’ainé vient de commencer l’université, il est en première année. La cadette, commence l’école secondaire. Dans 10 ans, j’avais les moyens de vivre. Même aujourd’hui j’ai encore quelques possibilités de vivre. Je parviens à boire la bouillie avec du sucre et à louer les travailleurs journaliers dans mes champs qui ne sont plus fertiles. Ces jours-ci, je me débrouille en achetant les bananes, j’en fais une bière locale qui me procure le bénéfice net de 50.000Frw. Voici la répartition : 20.000Frw c’est pour la nourriture ; 10.000 pour payer les travaux dans mes champs et le reste (20.000Frw) pour les dépenses scolaires de mes enfants. Je me heurte aux exigences et aux pressions des autorités de notre District qui veulent que je quitte mes champs. Ils avancent que nous devons nous conformer, moi comme tous les gens de mon village au plan de l’urbanisation. Je ne souhaite pas quitter ma parcelle. Finalement comme la pression de ces autorités augmente, je perds de plus en plus l’espoir de vivre dans la parcelle héritée de mes parents. C’est le droit du fort. Les gens de Kigali et d’autres riches en connivence avec les autorités ne veulent pas tolérer les maisons des pauvres. Chaque jour les autorités détruisent les maisons en briques adobes, ils veulent les briques cuites et les blocs ciments. Peu de gens ordinaires sont à la hauteur de ce plan qui semble ignorer que nous avons le droit de vivre. Je t’ai dit que la famille de mon mari a été victime du génocide. Dans la mienne, mes frères ont été présumés coupables d’avoir commis le génocide. Depuis 1995 jusqu’en 2007, je me suis préoccupé des enfants qu’ils avaient laissés sur le village. Les dépenses occasionnées pour approvisionner ceux qui sont en prison et les frais scolaires pour leurs enfants ont dépassés de loin celles que je réserve à ma famille. J’espérais qu’en payant les frais de minerval pour ces enfants, j’aurais la chance de les avoir un jour payé pour les miens. Ce sont trois qui ont terminé l’école secondaire, l’ainé vient de passer 8 ans au chômage, le cadet 4 ans et l’autre 3 ans. Actuellement je vis très mal, je ne peux pas comparer avec la situation d’avant le génocide ou celle du début de mon foyer. Quand on a quelqu’un pour t’aider et quand il n’y a personne, ce n’est pas la même chose. J’ai suffisamment de terres, mais pas assez de forces pour les cultiver. Ma parcelle est grande mais je manque de moyens pour la mettre en valeur. Aujourd’hui, il y a des rescapés qui n’ont pas la sécurité par ce qu’ils ont été achetés ou versés dans la malhonnêteté. D’une façon ou d’une autre, il y a des mauvaises conséquences qui se retournent contre eux, parce qu’eux-mêmes sont à la source de l’insécurité. On ne peut pas être heureux sans sécurité. C’est l’individu qui est lui-même la source de sa sécurité et finalement de son bonheur. Je ne trouve pas clairement certaines démarches du gouvernement Rwandais. D’une part, il m’arrive de penser qu’il a le rôle à jouer pour la sécurité sur notre colline. De l’autre part, il complique la sécurité des rescapés et les non-rescapés. La population rurale devient de plus en plus pauvre. En mettant en avant que ces pauvres doivent réparer les forfaits qui ont été ordonnés par un gouvernement génocidaire et en encourageant les rescapés de procéder aux recouvrements des dommages, le gouvernement Rwandais semble renforcer l’insécurité sur le village de deux groupes qui commençaient à se retrouver et à se réconcilier après que les juridictions Gacaca ont pris fin. Depuis 2000, j’ai la sécurité dans tout ce que je fais et je vis [mais] je pense que la réconciliation ne peut pas avoir lieu. Ils ont tué les gens, on les libère, ils rejoignent les leurs et continuent à travailler pour leurs familles, ils se développent et moi qui suis seule, je reste toujours derrière eux. Les enfants, eux, peut-être qu’ils vont vivre en harmonie car on n’enseigne plus cette haine qui a divisé les Rwandais, mais les adultes vont mourir avec leurs divisions. Il n’y a plus la vérité entre les relations humaines. Ils n’acceptent plus les conseils sages. Ils ont perdu des repères de valeurs. Ils aiment « l’avoir » plutôt que « l’être ». Il n’est pas facile d’avoir la confiance entre les gens quand ils sont matérialistes. Le pays est maudit, il n’y a pas de relations franches entre les gens, ce ne sont que des magouilles qui unissent les gens. A côté de nous, des rescapés ont oublié d’où ils viennent. Je connais les moments difficiles qu’ils ont traversés. Ce qui est étonnant c’est qu’entre eux, il n’y a pas de confiance à cause des disputes permanents entre eux à cause de ne pas se convenir sur le partage des biens laissés par les membres victimes du génocide. Les familles des non-rescapés se moquent d’eux et ce sont elles qui actuellement, ironie du sort, tranchent les disputes qui surgissent à chaque moment où il y a l’héritage, le partage ou le recouvrement des réparations des biens volés, ou abimés lors du génocide, c’est triste ! Les autres Tutsi rescapés ont commencé à avoir confiance en moi quand les procès ont commencé à cause de mes témoignages, avant c’était différent car j’ai des frères qui ont été mis en prison pour génocide. Parce que le matérialisme a remplacé la bonté et la générosité, la confiance est au bas de l’échelle des valeurs actuelles de notre société. Il n’est pas facile d’avoir confiance dans les gens parce que ça peut se retourner contre moi. Si on observe les disputes et les conflits, presque tous prennent racines prennent leur départ dans la confiance déçue ou ignorée. Je souhaite avoir une maison bien construite, des bailleurs pour réaliser mes projets et valoriser ma parcelle. On dit que les gens pauvres doivent quitter la route, j’habite tout près de la route car j’avais fuis les ruines de là où nous habitions, alors où est-ce que je vais aller vivre ? Les riches vont-ils me donner assez d’argent pour ma maison ? Je ne sais pas. Les riches de Kigali se conviennent avec les autorités et nous risquons de vendre nos parcelles pour qu’ils trouvent les parcelles dignes de leur fortune. Je ne pense pas que je puisse réaliser mon rêve, sauf si, peut-être, mon enfant termine l’école. Mais ce n’est pas lui qui doit supporter mes peines. D’une part dans l’avenir ma situation sera bonne. J’ai des projets. Je suis de nature optimiste. Il y aura aussi la paix. Les hommes seront capable de résoudre leurs problèmes en se respectant parce qu’il y a eu un bon leadership. En pensant qu’il y aura plus de divergence ça suscite d’autre part l’inquiétude pour moi « IYO INKA ZIRWANYE HABABARA UBWATSI = quand les vaches se font la guerre, c’est l’herbe qui en pâtit ». La variété des idées et la contradiction des intérêts conduisent aux conflits sans cet aspect des guerres et des conflits, demain sera bon. Heureusement, j’ai confiance au leadership actuel. Mais qui sait ce que l’avenir nous réserve! Mes enfants seront près de moi. Déjà mon fils ainé commence l’université. Comments are closed.
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